Montreuil, le 28 février 2019

La dernière fois que j’ai vu Dick Annegarn en concert remonte à bien plus longtemps que je n’oserais me l’avouer. C’est donc avec une certaine tendresse que je suis venu à la rencontre du hollandais chantant à La Marbrerie.

Ce soir Dick Annegarn s’accompagne d’une simple guitare mais il est porteur d'une mystérieuse invitation à le rejoindre pour une "épopée Pop." À l’intérieur c’est salle assise et le spectacle se joue à guichets fermés. Le public s’installe tranquillement, certains profitent de l’attente pour se régaler de la popote bio de la cantine, d’autres optimisent les grands volumes du balcon et improvisent un second rang derrière les tables et les chaises déjà plaquées sur le fronton de béton. Je croise de vieux rockers aux tempes grisonnantes, eux mêmes surpris d’être assis là, après avoir si longtemps abandonné Dick Annegarn dans l’espace temps de leurs souvenirs.

Contrairement à l’habitude, le fumoir est étrangement désert, le bar du rez-de-chaussée prématurément fermé faute d’affluence au comptoir. De toute façon la salle ne va pas tarder à faire le noir. Un homme, qui n’est visiblement pas Dick Annegarn, monte sur scène sans un mot et se met à fouiller les entrailles d’un iPad placé là, dont le contenu et les menus s’affIchent sans précaution sur le mur brut de l’arrière scène. S’y dévoile une sorte d’arborescence un peu fouilli ainsi qu’une pluie de fichiers compilés en vrac. L’homme finit par trouver le bon document et appuie sur play avant de disparaître comme il était venu. La vidéo mystère se lance dans le silence intrigué de la pénombre : c’est un reportage d’une TV belge. On y voit Dick Annegarn à Bruxelles. Il a stationné une mini caravane aux pieds de l’Atomium, dans l’idée d’enregistrer des gens : des anonymes venus pousser la chansonnette. Défilent comme ça, face caméra et sur le mur de La Marbrerie, des petites vieilles, un boucher picard, un gros monsieur jovial, une petite fille et d’autres personnages. Le film se fige en bout de course.

Dick Annegarn monte sur scène à la fin de cette improbable première partie, comme une introduction à « l’épopée Pop » annoncée par la salle sur les réseaux sociaux. En vérité, le fringant sexagénaire, vêtu dans la simplicité d’une veste et d’un t-shirt nous a concocté un bien curieux concert, entre balade musicologique et conférence de médiation culturelle. Et nous voici effectivement partis en voyage, à travers les histoires, les sons et les époques, au fil des vidéos lancées par le chanteur depuis son iPad, véritable chef d’orchestre de la soirée. De temps à autres Dick Annegarn gratte un peu de guitare, se lance dans un titre puis s’arrête soudain sans raison véritable, amusé et plein d’autodérision.

Voici bientôt, sur l’écran partagé de ses pensées, Bob Dylan et Joan Baez, Sony Terry et Brownie McGhee, les Beatles, Led Zeppelin et toujours ces fameux inconnus, fous chantants, captés au cours du roadtrip de l’artiste entre la France et la Belgique. Ils chantent du La Fontaine, parfois dans différentes versions. Ils chantent dans leurs patois, dans des langues oubliées. Annegarn s’enroule autour de ce fil rouge avec finesse et légèreté pour évoquer l’âme de la musique, son caractère volatile, amoureux, infidèle et la capacité des artistes à se l’approprier, à réinventer les chansons dans un répertoire neuf mais jamais sans racines. Il nous conduit jusqu’en Tchéquie, en Kabyle et en Égypte. Il souligne l’importance de la tradition orale, effleure l’idée de la mémoire transmise. Il chante aussi ses voyages dans de subtils arrangements. Le temps passe, le public suit. Il chante et rit à l’unisson. Annegarn, qui poursuit sa route sur les chemins de traverse de la petite histoire de la musique en grand, est visiblement ravi de cette complicité. Les chansons sont libres comme les fleuves qui sillonnent les pays. Ce sont les migrateurs qui marquent la mémoire des continents qu’ils traversent. Dick Annegarn est de ces oiseaux là.

Jean-Fabien Leclanche

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