[English version of the text below]

Contre toute attente et quasiment par surprise, La Muerte est venu à Paris un soir de décembre 2021 pour un concert blitzkrieg au CWB, sorte d’ambassade pour la culture belge contemporaine, discrètement planquée dans le boyau de la rue Quincampoix.

L’annonce est évidemment passée par les réseaux sociaux qui, pour une fois, n’ont pas affiché que du bullshit progressiste et puritain dans mon fil d’actualité dopé à la fake way of life.

La Muerte en concert, putain… Enfin !

On se connaissait un peu, eux et moi mais c’était il y a 25 ans.

J’étais soit disant journaliste rock à l’époque et la bande de renégats belges était en tournée, avec l’appui de PIAS, l’un des gros dealers du son indépendant du vingtième siècle finissant.

J’avais conservé des souvenirs intacts de nos échanges, de la brutalité de leurs concerts, de cette musique de barlous imbibés aux séries z, à la culture trash, entre dragsters et snuff movies. La Muerte cultivait le sens du gore et de l’incandescence, maniait l’esthétique junk avec un sens du design et une maîtrise des codes presque sans pareils. On pouvait même leur prêter quelques cousinages avec les Cramps ou Motorhead. Ils étaient de ces rares formations que ni les punks, ni les rockers, ni les metalleux ne pouvaient renier. Ils étaient les Stooges, le MC5 et Tarantino bien avant l’heure. Ils étaient la transgression, la horde sauvage, des bikers with attitude, des punks dopés aux Pulp et au nitrométhane. Des apôtres de l'esprit fanzine et de l'Armageddon. Too Fast to Die.

Avec des covers d’anthologie, Lucifer Sam et autres Wild Thing marquées au fer rouge, à jamais inscrites dans l’ADN du groupe aux côtés de Shoot in your back, de Black god white devil ou de Couteau dans l’eau, La Muerte a su puiser dans la contre culture pour se forger une identité hybride et reptilienne, à la fois profondément artistique et européenne mais aussi en prise directe avec ce que les States ont donné de meilleur en leur temps en terme de subversion.

Autant dire que l’idée de les revoir sur scène au bout de deux décennies d’interruption du signal me faisait sévèrement triquer.

Avec un line up refondé en 2014 autour de Marc du Marais et de Dider Moens, un album éponyme sorti en 2018 pour remettre les pendules à l’heure et malgré les années de silence, La Muerte était toujours ce même gang de zicos. Agressifs, définitifs et sans doute plus détraqués que jamais.

Il y avait toutefois un truc bizarre autour de cette date parisienne. Le groupe se produisait dans un lieu inconnu, totalement en marge du réseau de salles habituel. Sans grande promotion, le concert était annoncé gratuit et accolé à un premier événement, organisé par la revue Soldes, autre fleuron de l’underground belge, édité sous la forme d’un almanach annuel “pop et intello.”

Avec une rencontre conférence en avant soirée autour de la question “comment la transmission des savoirs peut-elle générer une dynamique inclusive et pratique?" et La Muerte à la suite, il était difficile à première vue de trouver une évidence, une connexion entre les deux propositions.

Jusqu’à ce que le nom de Marc Borgers apparaisse. En grattant un peu, on finit par retrouver cette signature autour du visuel du TRex sous stéroïdes de la pochette de Death Race 2000, sorti en 1989, lequel comprend d'ailleurs deux titres phares de la carrière du groupe, Black god white devil et Shoot in your back.

Sans cette info, difficile de faire le lien une fois arrivé sur place. Or c’est mal connaître la scène belge et sa porosité. Son ouverture d’esprit également, qui, contrairement à la France, décloisonne plus naturellement les genres, les acteurs, les disciplines et les familles artistiques.

Le fabuleux EP Headhunter, sorti en 2017, énorme reprise du Front 242, associée à Richard 23 et Patrick Codenys, en est une preuve supplémentaire.

Raison pour laquelle la scène belge a toujours été si unique, surprenante et vivante, a contrario de la scène française qui a toujours eu des difficultés à dresser des ponts et des passerelles.

Le CWB est un petit espace, cosy et chaleureux, niché en sous-sol et légèrement en retrait de la rue Quincampoix, où la boutique d'accessoires BDSM Metamorph’ose lui sert de vis à vis direct.

J’arrive alors que la conférence bat son plein dans la petite salle de spectacle formée d’une scène posée à même le sol, face à plusieurs rangées de fauteuils disposées en gradin.

Nous sommes à une heure du concert et je comprends rapidement que c’est dans ces conditions relativement décalées que le groupe va se produire. Je regarde autour de moi. La Muerte a investi un petit espace pour son merchandising, avec des vestes en jean sérigraphiées, les t-shirts qui vont bien, les patchs indispensables et des disques vendus à prix d'amis.

Seulement voilà, le temps passe, les minutes s'écoulent et je ne vois toujours pas l’ombre d’un chevelu, pas le moindre cuir noir, pas une canette ni de ceinture à clous. Aucun zombie à l’horizon.

L’affaire s’engage bizarrement, d’autant que le public qui finit par sortir de la conférence ne ressemble pas du tout à la clientèle habituelle des ogres bruxellois.

Vont-ils seulement rester et sont-ils prévenus de ce qui les attend vraiment ? Qu’est-ce que La Muerte vient faire dans cette galère ? Depuis le temps qu’on les espère, qu’on les attend, dans quel état d’esprit vont-ils investir la scène ?

Je vois, avec un certain soulagement, quelques têtes qui me sont familières. Muriel Delepont, la plus belge des photographes montreuilloises est venue traîner ses santiags jusqu’ici, en amie. Rien d’étonnant à ça, j’imagine qu’elle connaît les loustics de longue date. Le Baron de Greux est également de la partie. C’est un plaisir de croiser son Altesse à barbiche et d’apprendre qu’il est l’auteur de l’affiche du concert parisien de nos “amis” communs.

La mini foule grossit tranquillement, entre quinquas aux looks arty destructurés et vieux briscards aux karmas usés comme un comptoir de bar. Time to go.

Les portes s'ouvrent et les gradins se remplissent en silence puisque c’est salle assise. Une sale assise pour profiter des prêches de La Muerte, avec, qui plus est, un masque sur le nez. Vous me direz, Marc du Marais, aussi, gardera son masque toute la soirée….

Contre mauvaise fortune bon cœur donc, tout le monde s’installe en prise directe face à la scène. La Muerte y a construit son autel à décibels. Croix lumineuses, néons crus, amplis carrés siglés, écran de projection, tapis persan, bougies et vanités. Le concert peut commencer.

La set list est posée au sol près des retours. 11 titres, pas de rappel en vue, pas de fioritures, que du lourd et basta.

La machine à fumigènes fulmine, annonce la messe et diffuse ce parfum caractéristique d'encens chimiques alors que de gros nuages épais envahissent l’espace et diffusent un fog sous l’emprise des néons en forme de croix inversées. Didier Moens entre en scène avec la complicité d'Ennio Moricone sans tenir compte de ceux qui lui font face. Dos au public, il lâche un simple accord à l'agonie pendant que le reste du crew prend possession de ses moyens. Le son est gras, lourd, tranchant, saturé, abrasif. Parfaitement calibré. L’assaut est donné sans autre formalité.

Marc du Marais nous fait face. Il incarne la figure du Monstre. Sa revisite, une parfaite allégorie du mythe, une représentation trouble, viscérale, glaçante.

Il est celui dont on ne voit pas le visage, et dont le masque de terreur autorise toutes les pulsions. Il nous balaie, nous rabaisse, nous domine. Il est nos bas instincts personnifiés, notre égrégore, notre Monstre.

Le set file sans temps mort, pied au plancher. Titres récents ou éternels, tous sont exécutés dans l'instant, enchainés les uns aux autres... Le Shoot in your back, son blues de marécage remplit la salle, cet hymne qui ne m’a jamais quitté depuis la fin des 80’s résonne, toujours aussi délétère et insidieux. Sa puissance est intacte, son venin redoutable.

Coincée au fond de ses fauteuils, l’audience prend son plaisir à regarder le show comme un film au cinéma. Jusqu’à la dernière note, jusqu’au dernier larsen, jusqu’à l’ultime fracas.

La Muerte était à Paris ce soir-là, peut-être avec quelques cheveux blancs mais sans la moindre ride ni le moindre signe de faiblesse.

Il est resté ce groupe, définitivement culte, intransigeant, intemporel. Plus fort encore. Et toujours dangereux. Car si il est le Monstre, c’est parce qu’on le nourrit.

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